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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND


CCCI

À M. ERNEST PÉRIGOIS, À LA CHÂTRE


Nohant, juillet 1849.


J’ai le cœur gros. Ils vont fusiller ce pauvre Kléber, qui était venu à Nohant après les journées de juin, et qui était vraiment un homme de sens et de courage. Les assassins ! Il me semble que je vois recommencer 1815.

Au point de vue critique, vous avez raison. À force d’être dans les romans et dans les poèmes, et sur la scène, et dans l’histoire même, l’amour, la vérité de l’être et des affections n’y sont pas du tout. La littérature veut idéaliser la vie. Eh bien, elle n’y parvient pas, elle ment, elle doit mentir, puisque l’art est une fiction, ou tout au moins une interprétation. On est superbe, on est grand, on a cent pieds de haut dans les romans et dans les poèmes ; et, pourtant, on y vaut moins que dans la réalité, cela n’est pas un paradoxe. Il n’est pas vrai que nous ayons tous mérité la corde ; mais ce que vous dites, que nous avons tous été en démence, ne fût-ce qu’une heure dans la vie, est parfaitement exact. Il y a plus, nous sommes tous des fous, des enfants, des faibles, des inconséquents, des niais ou des fantasques, quand nous ne sommes pas