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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

courageuses préfèrent le silence à l’insinuation. D’ailleurs, la liberté fût-elle rétablie pour nous, il n’est pas certain que je voulusse toucher maintenant à des questions que l’humanité n’est pas encore digne de résoudre et qui ont divisé jusqu’à la haine les plus grands, les meilleurs esprits de ce temps-ci.

Vous vous étonnez que je puisse faire de la littérature ; moi, je remercie Dieu de m’en conserver la faculté, parce qu’une conscience honnête, et pure comme est la mienne, trouve encore, en dehors de toute discussion, une œuvre de moralisation à poursuivre. Que ferais-je donc si j’abandonnais mon humble tâche ? Des conspirations ? Ce n’est pas ma vocation, je n’y entendrais rien. Des pamphlets ? Je n’ai ni fiel ni esprit pour cela. Des théories ? Nous en avons trop fait et nous sommes tombés dans la dispute, qui est le tombeau de toute vérité, de toute puissance. Je suis, j’ai toujours été artiste avant tout ; je sais que les hommes purement politiques ont un grand mépris pour l’artiste, parce qu’ils le jugent sur quelques types de saltimbanques qui déshonorent l’art. Mais vous, mon ami, vous savez bien qu’un véritable artiste est aussi utile que le prêtre et le guerrier ; et que, quand il respecte le vrai et le bon, il est dans une voie où Dieu le bénit toujours. L’art est de tous les pays et de tous les temps ; son bienfait particulier est précisément de vivre encore quand tout semble mourir ; c’est pour cela que la Providence le préserve des passions trop personnelles ou trop générales, et qu’elle lui