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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

trop habituée à la fatigue et au travail pour comprendre les avantages du repos.

Mais ma conscience est craintive et je pousse loin le scrupule quand il s’agit de conseiller et d’agiter le peuple dans la rue. Il n’est point de doctrine trop neuve et trop hardie ; mais il ne faut pas jouer avec l’action. Je connais, tout comme un homme, l’émotion du combat et l’attrait du coup de fusil. Dans ma jeunesse, j’aurais suivi le diable s’il avait commandé le feu. Mais j’ai appris tant de choses depuis, que je crains beaucoup le lendemain de la victoire. Sommes-nous mûrs pour rendre un bon compte à Dieu et aux hommes ? Je dis nous, parce que je ne puis, dans ma pensée, nous séparer du peuple. Eh bien ! le peuple n’est pas prêt, et, en le stimulant trop, nous le retardons ; c’est là un fait qui n’est pas très logique ; le fait l’est si rarement ! Mais il est réel, et cela est encore plus sensible en province qu’à Paris.

Barbès est un héros, il raisonne comme un saint, c’est-à-dire fort mal quant aux choses de ce monde. Je l’aime tendrement et je ne saurais comment le défendre, parce que je ne puis admettre qu’il ait eu le droit, au nom du peuple, dans cette triste journée. Ceux qu’on a appelés des factieux étaient, en effet, plus factieux qu’on ne pense. Dans l’ordre politique, ils l’étaient moins que l’Assemblée nationale ; mais, dans l’ordre moral et intellectuel, ils l’étaient, n’en doutez pas.

Ils voulaient imposer au peuple, par la surprise, par