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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

crois, un rude voyage. Mais enfin il respirait librement quand il m’a écrit, et son moral n’était nullement affecté. Il était à Philippeville, ne sachant encore où on le fixerait, et comptant trouver à travailler partout, vu le bon accueil des populations. Les autres étaient aussi arrivés à bon port.

Courage, mon enfant ! Souffrir est notre état, et il faut bien l’accepter sans regret, puisque de certaines satisfactions de bourse et de ventre ne sont pas de notre goût. La vie n’est pas arrangée pour que ceux qui mettent l’esprit au-dessus de la matière ne souffrent pas : ce sont les revenants-bons d’une situation que nous avons acceptée d’avance, le jour où nous avons cru à l’esprit de Dieu agissant dans l’humanité ; et nous savions bien que nous serions payés dans ce monde en calomnies et en actes de rigueur, tant que l’humanité repousserait Dieu. C’est là son mal. Le genre humain est à la violence, aux attentats mutuels, et à ceux qui les réprouvent et qui rêvent la fraternité, on répond : « Bah ! ce n’est pas possible, vous ne pouvez pas ne pas haïr. »

Triste temps, mon Dieu Mais perdrons-nous la foi ? Non certes ! ne nous repentons jamais de n’avoir pas mérité ce que nous souffrons. C’est dans une conscience solidement pieuse que nous trouverons le remède au découragement, et je me bats contre la tristesse qui s’est emparée de moi, en me disant à toute heure : « Qui peut m’empêcher d’aimer et de croire ? »