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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

que notre pensée nous y transporte ? est-ce qu’on ne s’y occupe pas de nous comme nous nous occupons d’eux, nous qui rêvons toujours d’aller les y rejoindre ? Eux ? qui ? ils disent la même chose que nous, et, sans nous connaître, ils nous aiment. Et puis ne nous connaissent-ils pas ? Où est notre cher grand Delacroix à cette heure ? Mais où êtes-vous vous-même, à l’heure où je vous écris ? sur quelle route ? dans quel véhicule ? dans quelle disposition d’esprit ? L’absence et la mort ne diffèrent pas beaucoup ; donc, on ne se quitte pas, on se perd de vue ; mais on sait bien que, n’importe où, on se retrouvera. Aussi je ne dis jamais adieu dans le sens de « Dieu nous sépare ! » je le dis toujours dans le sens « Au revoir en Dieu, sur cette terre ou sur une autre ! » Est-ce que l’on ne fait pas de progrès tant qu’on veut vivre et tant qu’on croit à i’idéal ? est-ce que l’idéal ne sert qu’à cette vie d’un jour ou deux sur la terre ? Ne croyez pas cela. Nous emportons avec nous ce que nous avons acquis, et nous l’emportons pour l’accroître dans l’éternité. Qu’importe que, dans une ou deux de nos existences, nous n’ayons pas été assez encouragés, si nous avons entretenu le feu sacré en nous et dans les autres ? Ne comptez pas pour rien ces heures où vous donnez, avec votre âme, celle des grands maîtres à vos amis ; tout cela, c’est un échange, entre eux, vous et nous, de ce qu’il y a de meilleur et de plus éjevé dans le sanctuaire commun.

Écrivez-nous, cher ami ; dites-nous comment vous avez voyagé, comment vous avez retrouvé les sœurs, la