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CORRESPONDANCE DE GEORGE SAND

hémiens, en sages, en fous, et même en riches et en pauvres. Toutes ces démarcations étaient bonnes, il y a dix ans, et, si nous en avons gardé la tradition dans nos façons de parler, c’est par habitude. Ouvrons les yeux sur la société présente. Dans ces dernières agitations politiques, toutes ses notions, toutes ses habitudes, tous ses destins se sont brouillés comme les cartes se brouillent dans les mains du grand joueur qui est le progrès.

Oui, le progrès quand même est toujours plus rapide au milieu du trouble qu’au sein du repos. Je connais vos opinions et vous connaissez les miennes ; elles sont divergentes, mais elles n’ont rien à voir ici.

Il s’est fait un grand ébranlement dans les mœurs et dans les idées. Est-ce que vous n’avez pas senti la terre trembler sous nos pieds et le ciel vaciller sur nos têtes, rêveur et fantaisiste que vous êtes ? Ne voyez-vous pas que les choses et les hommes ont changé ? La fortune aveugle et passive n’a-t-elle pas déraillé comme une machine qu’aucune main humaine ne peut gouverner ? Qui sont les riches et qui sont les pauvres, selon vous, aujourd’hui ? Selon vous, les riches sont les sages, les pauvres sont les fous. Eh bien, voilà une erreur qui vous abandonnerait si vous regardiez hors de vos livres et de vos souvenirs. Le travail, le commerce, l’économie, le calcul, la raison, c’étaient là, en effet, du temps de Keller, des sources presque certaines de gain, de succès et de sécurité. À présent, c’est le hasard, la mode, la vogue, l’audace, la chance, qui seules déci-