Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/164

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quand je m’éveille, c’est la planète ; j’ai quelque peine à y retrouver le moi qui m’intéressait jadis et que je commence à appeler vous au pluriel. Elle est charmante, la planète, très intéressante, très curieuse, mais pas mal arriérée et encore peu praticable ; j’espère passer dans une oasis mieux percée et possible à tous. Il faut tant d’argent et de ressources pour voyager ici ! et le temps qu’on perd à se procurer ce nécessaire est perdu pour l’étude et la contemplation. Il me semble qu’il m’est dû quelque chose de moins compliqué, de moins civilisé, de plus naturellement luxueux et de plus facilement bon que cette étape enfiévrée. Viendras-tu dans le monde de mes rêves, si je réussis à en trouver le chemin ? Ah ! qui sait ?

Et ce roman marche-t-il ? Le courage ne s’est pas démenti ? La solitude ne te pèse pas ? Je pense bien qu’elle n’est pas absolue, et qu’il y a encore quelque part une belle amie qui va et vient, ou qui demeure par là. Mais il y a de l’anachorète quand même dans ta vie, et j’envie ta situation. Moi, je suis trop seule à Palaiseau, avec un mort ; pas assez seule à Nohant, avec des enfants que j’aime trop pour pouvoir m’appartenir, — et, à Paris, on ne sait pas ce qu’on est, on s’oublie entièrement pour mille choses qui ne valent pas mieux que soi. Je t’embrasse de tout cœur, cher ami ; rappelle-moi à ta mère, à ta chère famille, et écris-moi à Nohant, ça me fera du bien.

Les fromages ? Je ne sais plus, il me semble qu’on m’en a parlé. Je te dirai ça de là-bas.