Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/197

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l’infini ; ma foi, oui, n’en doute pas ; c’est sa destinée, puisque c’est son rêve et sa passion.

Inventer, c’est passionnant aussi ; mais quelle fatigue, après ! Comme on se sent vidé et épuisé intellectuellement, quand on a écrivaillé des semaines et des mois sur cet animal à deux pieds qui a seul le droit d’être représenté dans les romans ! Je vois Maurice tout rafraîchi et tout rajeuni quand il retourne à ses bêtes et à ses cailloux, et, si j’aspire à sortir de ma misère, c’est pour m’enterrer aussi dans les études qui, au dire des épiciers, ne servent à rien. Ça vaut toujours mieux que de dire la messe et de sonner l’adoration du Créateur.

Est-ce vrai, ce que tu me racontes de G… ? est-ce possible ? je ne peux pas croire ça. Est-ce qu’il y aurait, dans l’atmosphère que la terre engendre en ce moment, un gaz, hilariant ou autre, qui empoigne tout à coup la cervelle et porte à faire des extravagances, comme il y a eu, sous la première révolution, un fluide exaspérateur qui portait à commettre des cruautés ? Nous sommes tombés de l’enfer du Dante dans celui de Scarron.

Que penses-tu, toi, bonne tête et bon cœur, au milieu de cette bacchanale ? Tu es en coière, c’est bien. J’aime mieux ça que si tu en riais ; mais quand tu t’apaises et quand tu réfléchis ?

Il faut pourtant trouver un joint pour accepter l’honneur, le devoir et la fatigue de vivre ? Moi, je me rejette dans l’idée d’un éternel voyage dans des