Page:Sand - Correspondance 1812-1876, 5.djvu/260

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Nos paysans d’alors ressemblaient encore pas mal à des Indiens. À présent, ils sont plus civilisés et je suis moins sauvage. N’importe, j’ai encore du plaisir à revoir des gens sans esprit, que l’on comprend sans effort et que l’on écoute sans étonnement. Mais je ne veux pas vous désenchanter de ce qui vous enchante, d’autant plus que je m’y laisse enchanter aussi ; et de très bon cœur, quand je rentre dans le courant. Vous subissez le charme de la rue de Courcelles, à ce que je vois. Ce charme est très grand, plus soutenu, mais moins intense que celui du frère. Ces deux personnes seront infiniment regrettables, si la tempête qui s’amasse les emporte loin de nous. Mais que faire ? Les révolutions sont brutales, méfiantes et irréfléchies. Je ne sais où en sont les idées républicaines. J’ai perdu le fil de ce labyrinthe de rêves, depuis quelques années. Mon idéal s’appellera toujours liberté, égalité, fraternité ! Mais par qui et comment, et quand se réalisera-t-il tant soit peu ? Je l’ignore. Ce que je sais, c’est que partout on entend sortir de la terre et des arbres, et des maisons et des nuages ce cri : « En voilà assez ! »

Je suis tentée de demander pourquoi, bien que je voie l’impuissance de l’idée napoléonienne en face d’une situation plus forte que cette idée ; mais, quand on l’a acclamée et caressée quinze ans, comment fait-on pour en revenir et s’en dégoûter en un jour ? Notez que ceux qui se plaignent et se fâchent le plus aujourd’hui sont ceux qui, depuis quinze ans, la défendaient