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teur en scène l’ouvrait « d’une main tremblante » et s’efforçait de la déchiffrer, rentrait dix fois pour réclamer le port et raconter ses peines de cœur. Certain tailleur bègue arrivait aussi pour réclamer sa note au moment où le héros partait pour le bal ou pour le duel. Tous ces incidents étaient tellement acceptés, qu’aux moments les plus intéressants de l’action, on partageait avec angoisse les souffrances de l’acteur, sans songer à s’en prendre aux fantaisies du récitant.

Se servir de ses avantages et n’en pas abuser, c’est la science du maître de jeu ; lorsqu’il s’en sert bien, la fiction prend une couleur de vitalité frappante. Un de nos amis, auteur dramatique d’un ordre supérieur, assista un jour à une pièce militaire du répertoire, et son attention n’eut pas un sourire ; nous pensions qu’il s’ennuyait d’un passe-temps si léger. Le lendemain, il nous dit : « Je n’ai pas dormi de la nuit et je ne voudrais pas voir souvent ce théâtre. Il m’a bouleversé, il m’a fait douter de l’art ; je me suis demandé ce que valaient nos conventions, à côté de ce dialogue libre, vulgaire, rompu ou renoué comme dans la réalité, de ces expressions spontanées si bien appropriées à la