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DANS LES BOIS

croyant jouée, je n’ai plus voulu le revoir. J’ai quitté Paris et manqué à un rendez-vous donné par lui. On ne m’a pas dit : « Le roi a failli attendre, » on m’a écrit : « L’empereur a attendu. »

Mais j’ai continué à lui écrire quand j’espérais sauver une victime, à commenter ses réponses et à l’observer dans tous ses actes ; je me suis convaincu qu’il n’avait voulu jouer personne ; il jouait tout le monde et lui-même. Il croyait à ce qu’il disait ; mais, se regardant comme unique moyen de salut, comme l’instrument investi d’une mission inévitable, ne se sentant pas l’énergie physique et morale nécessaire, mais comptant la trouver dans l’arrangement fatal des circonstances, il adoptait toutes les idées qu’on voulait lui suggérer, sous forme d’oracles : « Allons toujours ! se disait-il ; si telle chose est impossible, je passerai à une autre, et si elle est mauvaise, le résultat me l’apprendra. » L’exercice du pouvoir absolu aidant, cette illusion de jouer à pile ou face avec les événements devint une monomanie, et le fatalisme tranquille et patient prit toutes les apparences d’une force et d’une habileté.

L’habileté était nulle. L’homme était naïf sous