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coutume de manger le bien des autres et que les autres feraient sagement de penser comme lui.

Le repas fut copieux. Duteil s’était chargé des vins, et réussit à en faire boire à M. Blaise. Il le poussa même si vivement, que l’avare finit par consentir à nous raconter ses campagnes, qui ne sont pas moins curieuses que sa personne.

— On prétend, lui dit mon frère, que vous avez déserté deux fois.

— C’est des mensonges ! répondit M. Blaise, j’ai déserté cinq fois. À dix-huit ans, je suis parti dans la réquisition des trois cent mille hommes. À Angers, j’ai été incorporé dans la légion nantaise, où je me suis vite ennuyé et où j’ai pris mon congé sous la semelle de mes souliers. J’étais royaliste et philosophe. Je ne voulais pas me battre. Les gendarmes m’ont rattrapé à Loches ; ils ont voulu me persuader, à coups de plat de sabre, que j’étais bon républicain et m’ont conduit de brigade en brigade jusqu’à Rennes, où un représentant du peuple nous fit un discours pour nous prouver que le jour de gloire était arrivé. Je ne voulais point de gloire, moi, et je m’en revins chez nous sans rien dire. On m’a fait