Page:Sand - Elle et Lui.djvu/105

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

de sa gloire. À présent, je ne me sens plus si indépendante de lui ; depuis sa maladie, son repentir et les lettres adorables de douceur et d’abnégation qu’il m’a écrites pendant ces deux derniers mois, je sens qu’un grand devoir m’attache encore à ce malheureux enfant, et je ne voudrais pas le froisser par un abandon complet. C’est pourtant ce qui peut arriver au lendemain de mon mariage. Palmer a eu un moment de jalousie, et ce moment peut revenir le jour où il aura le droit de me dire : Je veux ! Je n’aime plus Laurent, ma bien-aimée, je vous le jure, j’aimerais mieux mourir que d’avoir de l’amour pour lui ; mais, le jour où Palmer voudra briser l’amitié qui a survécu en moi à cette malheureuse passion, peut-être n’aimerai-je plus Palmer.

« Tout cela, je le lui ai dit ; il le comprend, car il se pique d’être un grand philosophe, et il persiste à croire que ce qui lui paraît juste et bon aujourd’hui ne changera jamais d’aspect à ses yeux. Moi aussi, je le crois, et cependant je lui demande de laisser couler les jours, sans les compter, sur la situation calme et douce où nous voici. J’ai des accès de spleen, il est vrai ; mais, par nature, Palmer n’est pas très-clairvoyant et je peux les lui cacher. Je peux avoir devant lui ce que Laurent appelait ma figure d’oiseau malade, sans qu’il en soit effarouché. Si le mal futur se borne à ceci, que je pourrai avoir les nerfs irrités et l’esprit assombri sans qu’il s’en aperçoive et s’en affecte, nous pourrons vivre ensemble aussi heureux que possible. S’il se mettait à scruter mes regards distraits, à vouloir percer le voile de mes rêveries, à faire enfin tous les cruels enfantillages dont m’accablait Laurent dans mes heures de défaillance morale, je ne me sens plus de force à lutter, et j’aimerais mieux que l’on me tuât tout de suite, ce serait plus tôt fait. »