Page:Sand - Elle et Lui.djvu/117

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faisant un autre choix. Laurent était tout à fait célèbre et en vogue. Jamais mariage n’avait paru mieux assorti. Le jeune et grand artiste était corrigé de ses travers. Thérèse avait sur lui une influence qui avait dominé les plus grandes crises de sa pénible transformation. Il avait pour elle un attachement invincible. C’était devenu un devoir pour tous deux de renouer pour toujours une chaîne qui n’avait jamais été complétement brisée, et qui, quelque effort qu’ils fissent désormais, ne pouvait jamais l’être.

Laurent excusait ses torts dans le passé par un raisonnement très-spécieux. Thérèse, disait-il, l’avait gâté dans le principe par trop de douceur et de résignation. Si, dès sa première ingratitude, elle se fût montrée offensée, elle l’eût corrigé de la mauvaise habitude, contractée avec les mauvaises femmes, de céder à ses emportements et à ses caprices. Elle lui eût enseigné le respect que l’on doit à la femme qui s’est donnée par amour.

Et puis une autre considération que faisait encore valoir Laurent pour se disculper, et qui semblait plus sérieuse, était celle-ci, que déjà il avait fait entrevoir dans ses lettres :

— Probablement, lui disait-il, j’étais malade sans le savoir quand, pour la première fois, j’ai été coupable envers toi. Une fièvre cérébrale, cela semble tomber sur vous comme la foudre, et pourtant il n’est pas possible de croire que, chez un homme jeune et fort, il ne se soit pas opéré, peut-être longtemps à l’avance, une crise terrible où sa raison ait été déjà troublée, et contre laquelle sa volonté n’ait pas pu réagir. N’est-ce pas ce qui s’est passé en moi, ma pauvre Thérèse, à l’approche de cette maladie où j’ai failli succomber ? Ni toi ni moi ne pouvions nous en rendre compte, et, quant à moi, il m’arrivait souvent de m’éveiller le matin et de songer à tes douleurs de la veille sans pouvoir distinguer la réalité de mes rêves de la nuit. Tu sais bien que je ne pouvais pas travailler, que le lieu où nous étions m’inspirait une aversion maladive, que déjà, dans la forêt de ***, j’avais eu une hallucination extraordinaire ; enfin que, quand tu me reprochais doucement certains mots cruels et certaines accusations injustes, je t’écoutais d’un air hébété, croyant que c’était toi-même qui avais rêvé tout cela. Pauvre femme ! c’est moi qui t’accusais d’être folle ! Tu vois bien