Page:Sand - Elle et Lui.djvu/12

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fait l’académie, devine et sait faire deviner tout un corps et toute une âme dans un buste, à la manière des grands sculpteurs de l’antiquité et des grands peintres de la renaissance. Mais je me tais ; vous n’aimez pas qu’on vous dise ce qu’on pense de vous. Vous faites semblant de prendre cela pour des compliments. Vous êtes très-orgueilleuse, Thérèse.

Je suis tout à fait mélancolique aujourd’hui, je ne sais pas pourquoi. J’ai si mal déjeuné ce matin… Je n’ai jamais si mal mangé que depuis que j’ai une cuisinière. Et puis on ne peut plus avoir de bon tabac. La régie vous empoisonne. Et puis on m’a apporté des bottes neuves qui ne vont pas du tout… Et puis il pleut… Et puis, et puis que sais-je ? Les jours sont longs comme des jours sans pain depuis quelque temps, ne trouvez-vous pas ? Non, vous ne trouvez pas, vous. Vous ne connaissez pas le malaise, le plaisir qui ennuie, et l’ennui qui grise, le mal sans nom dont je vous parlais l’autre soir, dans ce petit salon lilas où je voudrais être maintenant ; car j’ai un jour affreux pour peindre, et, ne pouvant peindre, j’aurais du plaisir à vous assommer de ma conversation.

Je ne vous verrai donc pas aujourd’hui ! Vous avez là une famille insupportable qui vous vole à vos amis les plus délicieux ! Je vais donc être forcé, ce soir, de faire quelque affreuse sottise !… Voilà l’effet de votre bonté pour moi, ma chère grande camarade. C’est de me rendre si sot et si nul quand je ne vous vois plus, qu’il faut absolument que je m’étourdisse au risque de vous scandaliser. Mais, soyez tranquille, je ne vous raconterai pas l’emploi de ma soirée.

Votre ami et serviteur,

LAURENT.

11 mai 183…




À M. LAURENT DE FAUVEL.


D’abord, mon cher Laurent, je vous demande, si vous avez pour moi quelque amitié, de ne pas faire trop souvent de sottises qui nuisent à votre santé. Je vous permets toutes les autres. Vous allez me demander d’en citer une, et me voilà fort embarrassée ; car, en fait de sottises, j’en connais peu qui ne soient nuisibles. Reste à savoir ce que vous appelez sottise. S’il s’agit de ces longs soupers dont vous me parliez l’autre jour, je crois qu’ils vous tuent, et je m’en désole. À quoi songez-vous, mon Dieu, de détruire ainsi, de gaieté de cœur, une existence si précieuse-