Page:Sand - Elle et Lui.djvu/120

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Et Laurent disait et écrivait à Thérèse sur ce bizarre sujet des choses aussi belles qu’effrayantes, qui paraissaient être vraies et ajouter de nouveaux droits à l’impunité qu’il semblait s’être réservée vis-à-vis d’elle.

Tout ce que Thérèse avait craint de souffrir à cause de Laurent en devenant la femme de Palmer, elle eut à le souffrir à cause de Palmer en redevenant la compagne de Laurent. L’horrible jalousie rétrospective, la pire de toutes, parce qu’elle se prend à tout sans pouvoir s’assurer de rien, rongea le cœur et brisa le cerveau du malheureux artiste. Le souvenir de Palmer devint pour lui un spectre, un vampire. Sa pensée s’acharna à vouloir que Thérèse lui rendit compte de tous les détails de sa vie à Gênes et à Porto-Venere, et, comme elle s’y refusait, il l’accusa d’avoir cherché dès lors à le tromper. Oubliant qu’à cette époque Thérèse lui avait écrit : J’aime Palmer, et qu’un peu plus tard elle lui avait écrit : Je l’épouse, il lui reprochait d’avoir toujours tenu d’une main sûre et perfide la chaîne d’espoir et de désir qui l’attachait à elle. Thérèse lui remit sous les yeux toute leur correspondance, et il reconnut qu’elle lui avait dit en temps et lieu tout ce que la loyauté lui prescrivait de dire pour le détacher d’elle. Il s’apaisa et convint qu’elle avait ménager sa passion mal éteinte avec une excessive délicatesse, lui disant peu à peu toute la vérité à mesure qu’il se montrait disposé à la recevoir sans douleur, et aussi à mesure qu’elle-même avait pu prendre confiance dans l’avenir où Palmer l’entraînait. Il reconnut qu’elle ne lui avait jamais fait l’ombre d’un mensonge, même lorsqu’elle avait refusé de s’expliquer, et qu’au lendemain de sa maladie, lorsqu’il se faisait encore illusion sur une réconciliation impossible, elle lui avait dit : « Tout est fini entre nous. Ce que j’ai résolu et accepté pour moi-même est mon secret, et tu n’as pas le droit de m’interroger. »

— Oui, oui, tu as raison, s’écria Laurent. J’étais injuste, et ma fatale curiosité est une torture que je suis vraiment criminel de vouloir te faire partager : Oui, pauvre Thérèse, je te fais subir d’humiliants interrogatoires, à toi qui ne me devais que l’oubli, et qui m’accordes un pardon généreux ! Je change les rôles : j’instruis ton procès, et j’oublie que c’est moi le coupable et le condamné ! Je cherche d’une main impie à arracher les voiles de pudeur dont ton âme a le droit et sans doute aussi le devoir de s’envelopper pour tout ce qui tient à tes relations avec Palmer ! Eh bien, je te remercie de ton fier silence. Je t’en estime d’autant plus. Il me prouve que jamais tu n’as laissé Palmer t’interroger sur les mystères de nos douleurs et de nos joies. Et je le comprends maintenant : non-seulement une femme ne doit pas ces confidences intimes à son amant, mais encore elle se doit de les lui refuser. L’homme qui les demande avilit celle qu’il aime. Il exige d’elle une lâcheté, en même temps qu’il la souille dans sa pensée, en associant son image à celle de tous les fantômes qui l’obsèdent. Oui, Thérèse, tu as raison : il faut travailler soi-même à entretenir la pureté de son idéal, et, moi, je m’évertue sans cesse à le profaner et à l’arracher du temple que je lui avais bâti !

Il semblait qu’après de telles explications, et lorsque Laurent se disait prêt à le signer de son sang et de ses larmes, le calme dût renaître et le bonheur commencer. Il n’en était pas ainsi. Laurent, dévoré d’une secrète rage, revenait le lendemain à ses questions, à ses outrages, à ses sarcasmes. Des nuits entières se passaient en discussions déplorables, où il semblait qu’il eût absolument besoin de travailler son propre génie à coups de fouet, de le blesser, de le torturer pour le rendre fécond en malédictions d’une effroyable éloquence, et pour faire atteindre à Thérèse et à lui les dernières limites du désespoir. Après ces orages, il semblait qu’il n’y eût plus qu’à se tuer ensemble. Thérèse s’y attendait toujours et se tenait prête, car elle prenait la vie en horreur ; mais Laurent n’avait pas encore cette pensée. Accablé de lassitude, il s’endormait, et son bon ange semblait revenir pour bercer son sommeil et mettre sur ses traits le divin sourire des visions célestes.

Règle invariable, inouïe, mais absolue dans cette étrange organisation : le sommeil changeait toutes ses résolutions. S’il s’endormait le cœur plein de tendresse, il s’éveillait l’esprit avide de combat et de meurtre, et réciproquement, s’il était parti la veille en maudissant, il accourait le lendemain pour bénir.

Trois fois Thérèse le quitta et s’enfuit loin de Paris ; trois fois il courut après