Page:Sand - Elle et Lui.djvu/23

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moi ! Je m’aime autant qu’un autre, je m’aime de tout mon cœur, je vous jure ! Mais je dis que ma palette, instrument de ma gloire, est l’instrument de mon supplice, puisque je ne sais pas travailler sans souffrir. Alors je cherche dans le désordre, non pas la mort de mon corps ou de mon esprit, mais l’usure et l’apaisement de mes nerfs. Voilà tout, Thérèse. Qu’y a-t-il donc là qui ne soit raisonnable ? Je ne travaille un peu proprement que quand je tombe de fatigue.

— C’est vrai, dit Thérèse, je l’ai remarqué, et je m’en étonne comme d’une anomalie ; mais je crains bien que cette manière de produire ne vous tue, et je ne peux pas me figurer qu’il en puisse arriver autrement. Attendez, répondez à une question : Avez-vous commencé la vie par le travail et l’abstinence, et avez-vous senti alors la nécessité de vous étourdir pour vous reposer ?

— Non, c’est le contraire. Je suis sorti du collège, aimant la peinture, mais ne croyant pas être jamais forcé de peindre. Je me croyais riche. Mon père est mort ne laissant rien qu’une trentaine de mille francs, que je me suis dépêché de dévorer, afin d’avoir au moins dans ma vie une année de bien-être. Quand je me suis vu à sec, j’ai pris le pinceau ; j’ai été éreinté et porté aux nues, ce qui de nos jours, constitue le plus grand succès possible, et, à présent, je me donne, pendant quelques mois ou quelques semaines, du luxe et du plaisir tant que l’argent dure. Quand il n’y a plus rien, c’est pour le mieux,