Page:Sand - Elle et Lui.djvu/44

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C’étaient des promenades qui l’eussent beaucoup compromise avec tout autre ; mais Laurent lui gardait religieusement le secret de sa confiance ; et ils se plaisaient tous deux à l’excentricité de ces mystérieux tête-à-tête qui ne cachaient aucun mystère. Elle se les rappela comme s’ils étaient déjà loin et se dit en soupirant, à l’idée qu’ils ne reviendraient plus :

— C’était le bon temps ! Tout cela ne pourrait recommencer pour lui qui souffre, et pour moi qui ne l’ignore plus.

À neuf heures, elle essaya enfin de répondre à Laurent, lorsqu’un coup de sonnette la fit tressaillir. C’était lui ! Elle se leva pour dire à Catherine de répondre qu’elle était sortie. Catherine entra : ce n’était qu’une lettre de lui. Thérèse regretta involontairement que ce ne fût pas lui-même.

Il n’y avait dans la lettre que ce peu de mots :

« Adieu, Thérèse, vous ne m’aimez pas, et, moi, je vous aime comme un enfant ! »

Ces deux lignes firent trembler Thérèse de la tête aux pieds. La seule passion qu’elle n’eût jamais travaillé à éteindre dans son cœur, c’était l’amour maternel. Cette plaie-là, bien que fermée en apparence, était toujours saignante comme l’amour inassouvi.

— Comme un enfant ; répétait-elle en serrant la lettre dans ses mains agitées de je ne sais quel frisson. Il m’aime comme un enfant ! Qu’est-ce qu’il dit là, mon Dieu ! sait-il le mal qu’il me fait ? Adieu ! Mon fils savait déjà dire adieu ! mais il ne me l’a pas crié quand on l’a emporté. Je l’aurais entendu ! et je ne l’entendrai jamais plus.

Thérèse était surexcitée, et, son émotion s’emparant du plus douloureux des prétextes, elle fondit en larmes.

— Vous m’avez appelée ? lui dit Catherine en rentrant. Mais, mon Dieu ! qu’est-ce que vous avez donc ? Vous voilà dans les pleurs comme autrefois !

— Rien, rien, laisse-moi, répondit Thérèse. Si quelqu’un vient pour me voir, tu diras que je suis au spectacle. Je veux être seule. Je suis malade.

Catherine sortit, mais par le jardin. Elle avait vu Laurent marcher à pas furtifs le long de la haie.

— Ne boudez pas comme cela, lui dit-elle. Je ne sais pas pourquoi ma maîtresse pleure ; mais ça doit être votre faute, vous lui faites des peines. Elle ne veut pas vous voir. Venez lui demander pardon !

Catherine, malgré tout son respect et son dévouement pour Thérèse, était persuadée que Laurent était son amant.

— Elle pleure ? s’écria-t-il. Oh ! mon Dieu ! pourquoi pleure-t-elle ?

Et il traversa d’un bond le petit jardin pour aller tomber aux pieds de Thérèse, qui sanglotait dans le salon, la tête dans ses mains.

Laurent eût été transporté de joie de la voir ainsi s’il eût été le roué que parfois il voulait paraître ; mais le fond de son cœur était admirablement bon, et Thérèse avait sur lui l’influence secrète de le ramener à sa véritable nature. Les larmes dont elle était baignée lui firent donc une peine réelle et profonde. Il la supplia à genoux