Page:Sand - Elle et Lui.djvu/46

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

bonne foi. Le repousser avec défiance eût été un aveu de la tendresse trop vive qu’elle avait pour lui ; une femme qui montre de la peur est déjà vaincue. Aussi se montra-t-elle brave, et peut-être le fut-elle sincèrement, car elle se croyait encore assez forte. Et, d’ailleurs, elle n’était pas mal inspirée par sa faiblesse même. Rompre en ce moment, c’eût été provoquer de terribles émotions qu’il valait mieux apaiser, sauf à détendre doucement le lien avec adresse et prudence. Ce pouvait être l’affaire de quelques jours. Laurent était si mobile et passait si brusquement d’un extrême à l’autre !

Ils se calmèrent donc tous les deux, s’aidant l’un l’autre à oublier l’orage, et même s’efforçant d’en rire, afin de se rassurer mutuellement sur l’avenir ; mais, quoi qu’ils fissent, leur situation était essentiellement modifiée, et l’intimité avait fait un pas de géant. La crainte de se perdre les avait rapprochés, et, tout en se jurant que rien n’était changé entre eux quant à l’amitié, il y avait dans toutes leurs paroles et dans toutes leurs idées une langueur de l’âme, une sorte de fatigue attendrie qui était déjà l’abandon de l’amour !

Catherine, en apportant le thé, acheva de les remettre ensemble, comme elle disait, par ses naïves et maternelles préoccupations.

— Vous feriez mieux, dit-elle, à Thérèse, de manger une aile de poulet que de vous creuser l’estomac avec ce thé ! — Savez-vous, dit-elle à Laurent en lui montrant sa maîtresse, qu’elle n’a pas touché à son dîner ?

— Eh bien, vite qu’elle soupe ! s’écria Laurent. Ne dites pas non, Thérèse, il le faut ! Qu’est-ce que je deviendrais donc, moi, si vous tombiez malade ?

Et, comme Thérèse refusait de manger, car elle n’avait réellement pas faim, il prétendit, sur un signe de Catherine, qui le poussait à insister, avoir faim lui-même, et cela était vrai, car il avait oublié de dîner. Dès lors Thérèse se fit un plaisir de lui donner à souper, et ils mangèrent ensemble pour la première fois ; ce qui, dans la vie solitaire et modeste de Thérèse, n’était pas un fait insignifiant. Manger tête à tête surtout est une grande