Page:Sand - Elle et Lui.djvu/64

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— Voyons : que faire pour secouer cette mort qui glace les épaules ? Mets-toi au piano, et joue-moi une valse. Je vais valser tout seul. Sais-tu valser, toi ? Je parie que non ! Tu ne sais rien que de triste !

— Tiens, dit Thérèse en se levant, partons demain, et advienne que pourra ! Tu deviendrais fou ici. Ce sera peut-être pire ailleurs ; mais j’irai jusqu’au bout de ma tâche.

Sur ce mot, Laurent s’emporta, c’était donc une tâche qu’elle s’était imposée ? Elle accomplissait donc froidement un devoir ? Peut-être avait-elle fait à la Vierge le vœu de lui consacrer son amant. Il ne lui manquait plus que d’être dévote !

Il prit son chapeau avec cet air de suprême dédain et de rupture bien troussée qui lui était propre. Il sortit sans dire où il allait. Il était dix heures du soir. Thérèse passa la nuit dans des angoisses effroyables. Il rentra au jour et s’enferma dans sa chambre en jetant les portes avec fracas. Elle n’osa se montrer dans la crainte de l’irriter et se retira sans bruit chez elle. C’était la première fois qu’ils s’endormaient sans se dire un mot d’affection ou de pardon.

Le lendemain, au lieu de retourner à son travail, elle fit ses paquets et prépara tout pour le départ. Lui s’éveilla à trois heures de l’après-midi, et lui demanda en riant à quoi elle songeait. I1 avait pris son parti, il avait retrouvé son assiette. Il s’était promené la nuit, seul au bord de la mer ; il avait fait ses réflexions, il était calmé.

— Cette grosse mer grondeuse et rabâcheuse m’a impatienté, dit-il gaiement. J’ai fait d’abord de la poésie. Je me suis comparé à elle. J’ai eu envie de me jeter dans son beau sein verdâtre !… Et puis j’ai trouvé la vague monotone et ridicule de se plaindre toujours de ce qu’il y a des rochers sur la grève. Si elle n’a pas la force de les détruire, qu’elle se taise ! Qu’elle fasse comme moi, qui ne veux plus me plaindre. Me voilà charmant ce matin ; j’ai résolu de travailler, je reste. J’ai fait ma barbe avec soin ; embrasse-moi, Thérèse, et ne parlons plus de la sotte soirée d’hier. Défaits ces paquets surtout, ôte ces malles, vite, que je ne les voie pas davantage ! Elles ont l’air d’un reproche, et je n’en mérite plus.

Il y avait bien loin de cette prompte