Page:Sand - Flamarande.djvu/14

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Je vis de mes rentes sans être riche, mais sans manquer de rien. J’ai des loisirs que je peux occuper à mon gré en écrivant, non pas toute ma vie, mais les vingt années que j’ai consacrées à cette famille.

C’est en 1840 que j’entrai au service de M. le comte Adalbert de Flamarande en qualité de valet de chambre. Les gens d’aujourd’hui se font malaisément une idée juste de ce qu’était un véritable valet de chambre dans les anciennes familles, et, à vrai dire, je suis peut-être un des derniers représentants du type approprié à cette fonction. Mon père l’avait remplie avec honneur dans une maison princière. La Révolution ayant tout bouleversé et ses maîtres ayant émigré, il s’était fait agent d’affaires, et, comme il était fort habile, il avait acquis une certaine fortune. C’était un homme de mérite en son genre, et je lui ai toujours entendu dire que dans son état il fallait savoir mettre la ruse au service de la vérité et au besoin la duplicité à celui de la justice.

Nourri dans ces idées, j’eus une jeunesse sérieuse ; j’étudiai le droit avec mon père, et je l’appris par la pratique mieux que dans les livres. Il ne voulut pas que je fusse élève en droit proprement dit et que je me fisse recevoir avocat. Il craignait de me voir contracter l’ambition du barreau. Il disait qu’à moins de grandes qualités naturelles dont je n’étais pas doué, c’était un métier à mou-