Page:Sand - Flamarande.djvu/314

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fois à Sévines, et je me disais que je n’étais pas né pour ce métier de bourreau.

L’obsession de mes pensées devint si cruelle, que je résolus de ne plus penser du tout, et je fis la guerre à mes souvenirs comme un médecin poursuivant pied à pied la maladie. Je me mis au régime, au moral comme au physique. Je me cherchai, en dehors de mes occupations domestiques qui ne m’enlevaient pas assez à moi-même, une passion, une manie quelconque pour me détourner de l’examen de la réalité. J’essayai plusieurs choses. Je m’adonnai à l’horticulture. J’eus les plus belles roses à vingt lieues à la ronde ; mais Roger me les cueillait pour les porter à sa mère, et je n’avais ni l’autorité pour l’en empêcher, ni le mérite de les offrir moi-même.

Je fis des essais de greffe et de taille pour les arbres fruitiers. On m’en fit de grands compliments ; mais j’aurais voulu une occupation qui me donnât des jouissances élevées. Je m’imaginai de rapprendre la musique, que j’avais un peu étudiée dans ma jeunesse. L’intendant qui m’avait précédé avait laissé chez moi un vieux piano qui avait servi à sa femme et qu’on n’avait pas jugé valoir la peine d’être emporté. Je me mis en tête de le réparer, et j’en vins à bout. Je recollai les touches, je remis des cordes neuves, je regarnis les marteaux, je l’accordai, et enfin je le fis parler. Alors je rappris tout seul à jouer des valses et des romances, et même à