Page:Sand - Flamarande.djvu/70

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prit-il, elles la trouvent dans leur berceau. Ce sont des êtres inférieurs en tout ce qui est bon, supérieurs à nous quand il s’agit de faire le mal. Pauvre Salcède ! il avait raison de les craindre ; sa première expérience lui coûte cher ! Et moi qui les défendais contre lui ! Le diable m’emporte, je crois que j’ai été amoureux de ma femme !

Son rire sardonique m’effraya.

— M. le comte me paraît tourner à la haine, lui dis-je avec assurance ; qu’il prenne garde à ce sentiment-là. C’est encore de l’amour, et c’est pire, c’est de la passion.

Son rire nerveux devint froid et triste.

— Ah ! si j’avais cela pour me sauver de l’ennui de vivre ! dit-il en étendant sa main comme pour prendre la mienne, que, par respect, je retirai sans avoir l’air de le faire exprès ; mais, ajouta-t-il en soupirant, je suis condamné à vivre sans autre préoccupation grave que celle de ma maladie physique. Triste souci pour un homme qui eût voulu employer sa force et sa raison à quelque chose de mieux ! Non, Charles, la passion, une passion quelconque me sauverait de moi-même ; mais je n’ai pas cette ressource, je me suis trop adonné à la clairvoyance dans les choses humaines. Je suis devenu misanthrope, rien ne me paraît plus valoir la peine d’être aimé ou haï.

— Vous avez pourtant savouré la vengeance…

— C’est une jouissance atroce, je n’en veux plus.