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HISTOIRE DE MA VIE

nous sauvera peut-être ; mais à coup sûr il n’aura d’action sur nous qu’autant qu’il nous comprendra, et pour qu’il nous comprenne il faut qu’il ait à nous faire une confidence en retour de la nôtre.

Le récit des souffrances et des luttes de la vie de chaque homme est donc l’enseignement de tous ; ce serait le salut de tous si chacun savait ce qui l’a fait souffrir et connaître ce qui l’a sauvé. C’est dans cette vue sublime et sous l’empire d’une foi ardente que saint Augustin écrivit ses Confessions, qui furent celles de son siècle et le secours efficace de plusieurs générations de chrétiens.

Un abîme sépare les Confessions de Jean-Jacques Rousseau de celles du Père de l’Église. Le but du philosophe du dix-huitième siècle semble plus personnel, partant moins sérieux et moins utile. Il s’accuse afin d’avoir l’occasion de se disculper, il révèle des fautes ignorées afin d’avoir le droit de repousser des calomnies publiques. Aussi c’est un monument confus d’orgueil et d’humilité qui parfois nous révolte par son affectation, et souvent nous charme et nous pénètre par sa sincérité. Tout défectueux et parfois coupable que soit cet illustre écrit, il porte avec lui de graves enseignements, et plus le martyr s’abîme et s’égare à la poursuite de son idéal, plus ce même idéal nous frappe et nous attire.

Mais on a trop longtemps jugé les Confessions de Jean-Jacques au point de vue d’une apologie purement individuelle. Il s’est rendu complice de ce mauvais résultat en le provoquant par les préoccupations personnelles mêlées à son œuvre. Aujourd’hui que ses amis et ses ennemis personnels ne sont plus, nous jugeons l’œuvre de plus haut. Il ne s’agit plus guère pour nous de savoir jusqu’à quel point l’auteur des Confessions fut injuste ou malade, jusqu’à quel point ses détracteurs furent impies ou cruels. Ce qui nous intéresse, ce qui nous éclaire et nous in-