fort courts, mais très pleins d’idées nettes et de nobles sentiments. Ce sont, en général, des pensées détachées, mais dont le lien est très logique. Un petit traité du Bonheur, en quelques pages, nous a paru un chef-d’œuvre. Et pour en faire comprendre la portée philosophique, il nous suffit d’en transcrire les premiers mots : Tous les hommes ont un droit égal au bonheur ; textuellement : « Tous les hommes ont un droit égal au plaisir ». Mais il ne faut pas que ce mot plaisir, qui a sa couleur locale comme un trumeau de cheminée, fasse équivoque et soit pris pour l’expression d’une pensée de la régence. Non, son véritable sens est un bonheur matériel, jouissance de la vie, bien-être, répartition des biens, comme on dirait aujourd’hui. Le titre de l’ouvrage, l’esprit chaste et sérieux dont il est empreint ne peuvent laisser aucun doute sur le sens moderne de cette formule égalitaire qui répond à celle-ci : À chacun suivant ses besoins. C’est une idée assez avancée, je crois, tellement avancée, qu’aujourd’hui encore elle l’est trop pour la cervelle prudente de la plupart de nos penseurs et de nos politiques, et qu’il a fallu à l’illustre historien Louis Blanc un certain courage pour la proclamer et la développer[1].
Belle et charmante, simple, forte et calme, madame Dupin finit ses jours à Chenonceaux dans un âge très avancé. La forme de ses écrits est aussi limpide que son âme, aussi délicate, souriante et fraîche que les traits de son visage. Cette forme est sienne, et la correction élégante n’y nuit point à l’originalité. Elle écrit la langue de son temps, mais elle a le tour de Montaigne, le trait de Bayle, et l’on voit que cette belle dame n’a pas craint de secouer la poussière des vieux maîtres. Elle ne les
- ↑ J’écris ceci en juillet 1847. Qui sait si avant la publication de ces Mémoires, un bouleversement social n’aura pas créé beaucoup de penseurs très-courageux ?