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HISTOIRE DE MA VIE 377

chiens, qui étaient fort méchants, aboyaient de loin après • lui, s'approchaient avec méfiance pour flairer ses habits et se retiraient aussitôt, comme s'ils eussent compris que c'é- tait un être inoffensif et sans conséquence. Lui, sans faire aucune attention aux chiens, entrait dans la maison ou dans le jardin, et bien qu'avant sa folie il n'eût jamais eu aucune relation avec nous, il s'arrêtait auprès de la première per- sonne qu'il rencontrait, lui disait une ou deux paroles et restait plus ou moins longten)ps, sans qu'il fût nécessaire de s'occuper de lui. Quelquefois il entrait chez ma grand'- mère sans frapper, sans songer à se faire annoncer, lui demandait très-poliment de ses nouvelles, répondait à ses questions qu'il se portait fort bien, prenait un siège sans y être invité, et demeurait impassible pendant que ma grand'- mère continuait à écrire ou à me donner ma leçon. Si c'é- tait la leçon de musique, il se levait, se plaçait derrière le clavecin, et y restait immobile jusqu'à la fin.

Lorsque sa présence devenait gênante, on lui disait : « Eh bien, monsieur Demai, désirez-vous quelque chose? — Bien de nouveau, répondait-il, je cherche la tendresse. — Est-ce que vous ne l'avez pas trouvée encore, depuis le temps que vous la cherchez? — Non, disait-il, et pourtant j'ai cherché partout. Je ne sais où elle peut être. — Est-ce que vous l'avez cherchée dans le jardin? — Non, pas en- core,» disait-il ; et, frappé d'une idée subite, il allait au jar- din, se promenait dans toutes les allées, dans tous les coins, s'asseyait sur l'herbe à côté de nous pour regarder nos jeux d'un air grave, montait chez Deschartres, entrait chez ma mère, et même dans les chambres inhabitées, parcourait toute la maison, ne demandait rien à personne, et se con- tentait de répondre à qui l'interrogeait qu'il cherchait la tendresse. Les domestiques, pour s'en débarrasser, lui di- saient : « Ça ne se trouve pas ici. Allez du côté de La Châ- tre. Bien sur, vous la rencontrerez par là, >■> Quelquefois il