Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/141

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le riche, le milord de notre association berrichonne, paya du sucre d’orge à tout le parterre, et puis, comme nous sortions affamés, il emmena souper trois ou quatre d’entre nous aux Vendanges de Bourgogne. Tout à coup, il lui prit envie d’inviter Debureau, qu’il ne connaissait pas le moins du monde. Il rentre dans le théâtre, le trouve en train d’ôter son costume de Pierrot dans une cage qui lui servait de loge, le prend sous le bras et l’amène. Debureau fut charmant de manières. Il ne se laissa pas tenter par la moindre pointe de champagne, craignant, disait-il, pour ses nerfs et ayant besoin du calme le plus complet pour son jeu. Je n’ai jamais vu d’artiste plus sérieux, plus consciencieux, plus religieux dans son art. Il l’aimait de passion et en parlait comme d’une chose grave, tout en parlant de lui-même avec une extrême modestie. Il étudiait sans cesse et ne se blasait pas, malgré un exercice continuel et même excessif. Il ne s’inquiétait pas si les finesses admirables de sa physionomie et son originalité de composition étaient appréciées par des artistes ou saisies par des esprits naïfs. Il travaillait pour se satisfaire, pour essayer et pour réaliser sa fantaisie, et cette fantaisie, qui paraissait si spontanée, était étudiée à l’avance avec un soin extraordinaire. Je l’écoutai avec grande attention : il ne posait pas du tout, et je voyais en lui, malgré la bouffonnerie du genre, un de ces grands artistes qui méritent le