Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/239

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le globe et qui s’appelle l’homme. Il n’y a pas d’orgueil, il n’y a pas d’égoïsme qui nous console quand nous nous absorbons dans cette idée.

Tu te diras en vain :

« Je suis un être raisonnable parmi ces millions d’êtres qui ne le sont pas : je ne souffre pas de ces maux que leur sottise leur attire. »

Hélas ! tu n’en seras pas plus fier, puisque tu ne peux pas faire que tes semblables soient semblables à toi. Ton isolement t’épouvantera d’autant plus que tu te croiras meilleur et te sentiras plus heureux que les autres.

Ton innocence même, la conscience de ta douceur et de ta probité, la sérénité de ton propre cœur, ne te seront pas un refuge contre la tristesse profonde qui t’enveloppe, si tu te sens vivre dans un milieu impur, sur une terre souillée, parmi des êtres sans foi ni loi, qui se dévorent les uns les autres, et chez qui le vice est bien autrement contagieux que la vertu.

Tu as une heureuse famille, je suppose, d’excellens amis, un entourage de bonnes âmes comme la tienne. Tu as réussi à fuir le contact de l’humanité malade. Hélas ! pauvre homme de bien, tu n’en es que plus seul ?

Tu es doux, généreux, sensible : tu ne peux lire l’histoire sans frémir à chaque page, et le sort des victimes innombrables que le temps dévore t’arrache de saintes larmes : hélas ! pauvre bon cœur, à quoi servent les pleurs de ta pitié ?