Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 10a13 1855 Gerhard.djvu/302

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allait faire une économie de 300 fr. sur le luminaire, et que, si on pouvait vaincre la répugnance du comité, on aviserait à lui donner du pain.

« Ce fut son dernier coup, car je vis dans ce moment-là son regard angélique se porter vers moi, et la mort était dans ce regard.

« Elle partit pour Caen, et là, tout de suite, en deux heures, je vis le mal si grand, que je dus appeler une consultation. L’état fut jugé très grave, il y avait fièvre pernicieuse et ulcère au foie. Je crus entendre prononcer ma propre condamnation à mort. Je ne pouvais en croire mes yeux, quand je regardais cet ange de douleur et de résignation, qui ne se plaignait pas, et qui, en me souriant tristement, semblait me dire : Vous êtes là, vous ne me laisserez pas mourir !

« À dater de ce moment-là, j’ai passé quarante nuits à son chevet, debout ! Elle n’a pas eu d’autre garde, d’autre infirmier, d’autre ami que moi. Je voulais seul accomplir cette tâche ; pendant quarante jours, j’ai été là, la disputant à la mort, comme un chien fidèle défend son maître en péril.

« Puis j’ai vu venir la faiblesse, la profonde mélancolie. Elle s’est mise à parler sans cesse de son enfance, de ses beaux jours ; elle résumait toute son existence : je me sentais terrassé par le désespoir, par la fatigue. Plusieurs fois, je