Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/445

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malheur, si un boulet me rencontre sur le champ de bataille. Ne te dois-je donc pas cela ? À toi, qui as supporté si longtemps ma mauvaise fortune, et quitté un palais pour une mansarde par amour pour moi ! Juge un peu mieux de moi, ma Sophie, juges-en d’après toi-même. Non, il n’est pas un instant dans ma vie où je ne pense à toi ; il n’est rien qui vaille pour moi la modeste chambre de ma chère femme. C’est là le sanctuaire de mon bonheur ; rien ne peut valoir à mes yeux, ses jolis cheveux noirs, ses yeux si beaux, ses dents si blanches, sa taille si gracieuse, sa robe de percale, ses jolis pieds, ses petits souliers de prunelle. Je suis amoureux de tout cela comme le premier jour, et je ne désire rien de plus au monde ; mais pour posséder ce bonheur en toute sécurité, pour n’avoir point à lutter contre la misère avec des enfans, il faut faire au présent quelques sacrifices. Tu dis que nous serons moins heureux dans un palais que dans notre petit grenier ; qu’à la paix, le prince sera fait roi et que nous serons obligés d’aller habiter ses états où nous n’aurons plus notre obscurité, notre tête-à-tête, notre chère liberté de Paris. Il est bien probable que le prince sera roi, en effet, et qu’il nous emmènera avec lui. Mais je nie que nous puissions n’être pas heureux là où nous serons ensemble, ni que rien puisse gêner désormais un amour que le mariage a consacré. Que tu es bête, ma pauvre femme, de croire que