Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/489

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d’avoir ajouté par son désordre à ces embarras de famille. J’ai le souvenir si net de notre intérieur à cette époque, que je puis affirmer qu’elle ne méritait en rien ces reproches. Elle faisait elle-même son lit, balayait l’appartement, raccommodait ses nippes et faisait la cuisine. C’était une femme d’une activité et d’un courage extraordinaires. Toute sa vie elle s’est levée avec le jour et couchée à une heure du matin, et je ne me rappelle pas l’avoir vue oisive un seul instant. Nous ne recevions personne en dehors de notre famille et de l’excellent ami Pierret, qui avait la tendresse d’un père et les soins d’une mère.

C’est le moment de faire l’histoire et le portrait de cet homme inappréciable que je regretterai toute ma vie.

Pierret était fils d’un petit propriétaire champenois, et dès l’âge de dix-huit ans il était employé au Trésor, où il a toujours occupé un emploi modeste. C’était le plus laid des hommes ; mais cette laideur était si bonne qu’elle appelait la confiance et l’amitié. Il avait un gros nez épaté, une bouche épaisse et de très petits yeux ; ses cheveux blonds frisaient obstinément, et sa peau était si ridiculement blanche et rose, qu’il parut toujours jeune. À quarante ans, il se mit fort en colère parce qu’un commis de la mairie, où il servait de témoin au mariage de ma sœur, lui demanda de très bonne foi s’il avait atteint l’âge de majorité. Il était pourtant assez grand