Le jockey me répondit qu’on était en train de les tuer. Eh bien ! dis-je, je veux qu’on tue aussi le mien. Ma mère voulut me faire renoncer à cette idée cruelle, mais je m’y obstinai jusqu’à pleurer et à crier, ce qui lui causa une grande surprise. « Il faut, dit-elle à Mme Fontanier, que cette enfant ne se fasse aucune idée de ce qu’elle demande : elle croit que mourir c’est dormir. » Elle me prit alors par la main, et m’emmena avec mon pigeon dans la cuisine, où l’on égorgeait ses frères. Je ne me rappelle pas comment on s’y prenait, mais je vis le mouvement de l’oiseau qui mourait violemment et la convulsion finale. Je poussai des cris déchirans, et, croyant que mon oiseau, déjà tant aimé, avait subi le même sort, je versai des torrens de larmes. Ma mère, qui l’avait sous son bras, me le montra vivant, et ce fut pour moi une joie extrême. Mais quand on nous servit, à dîner, les cadavres des autres pigeons, et qu’on me dit que c’était les mêmes êtres que j’avais vus si beaux avec leurs plumes luisantes et leur doux regard, j’eus horreur de cette nourriture et n’y voulus point toucher.
Plus nous avancions dans notre trajet, plus le spectacle de la guerre devenait terrible. Nous passâmes la nuit dans un village qui avait été brûlé la veille, et où il ne restait dans l’auberge qu’une salle avec un banc et une table. Il n’y avait absolument à manger que des oignons crus,