Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/528

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bizarre ; c’est que j’étais double et qu’il y avait autour de moi un autre moi que je ne pouvais pas voir et qui me voyait toujours, puisqu’il me répondait toujours. Cela s’arrangea aussitôt dans ma cervelle comme une chose qui devait être, qui avait toujours été, et dont je ne m’étais pas encore aperçue. Je comparai ce phénomène à celui de mes orblutes, qui m’avait d’abord étonnée tout autant, et auquel je m’étais habituée sans le comprendre. J’en conclus que toutes choses et toutes gens avaient leur reflet, leur double, leur autre moi, et je souhaitai vivement de voir le mien. Je l’appelai cent fois, je lui disais toujours de venir auprès de moi. Il répondait : Viens là, viens donc, et il me semblait s’éloigner ou se rapprocher quand je changeais de place. Je le cherchai et l’appelai dans l’appartement, il ne me répondit plus. J’allai à l’autre bout de la terrasse. Il fut muet. Je revins vers le milieu, et, depuis ce milieu jusqu’à l’extrémité de l’église, il me parla et répondit à mon viens donc par un viens donc tendre et inquiet. Mon autre moi se tenait donc dans un certain endroit de l’air ou de la muraille, mais comment l’atteindre et comment le voir ? Je devenais folle sans m’en douter.

Je fus interrompue par l’arrivée de ma mère, et je ne saurais dire pourquoi, loin de la questionner, je lui cachai ce qui m’agitait si fort. Il faut croire que les enfans aiment le mystère de