Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/531

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

plainte, ma mère supportait très courageusement le mal physique et mettait ses enfans au monde très promptement ; pourtant cette fois elle souffrit plusieurs heures, mais on ne m’éloigna d’elle que peu d’instans, après lesquels mon père me rappela et me montra un petit enfant ; j’y fis à peine attention. Ma mère était étendue sur un canapé ; elle avait la figure si pâle et les traits tellement contractés, que j’hésitai à la reconnaître. Puis je fus prise d’un grand effroi et je courus l’embrasser en pleurant. Je voulais qu’elle me parlât, qu’elle répondît à mes caresses, et comme on m’éloignait encore pour lui laisser du repos, je me désolai longtemps, croyant qu’elle allait mourir et qu’on voulait me la cacher. Je retournai pleurer sur la terrasse, et on ne put m’intéresser au nouveau-né.

Ce pauvre petit garçon avait des yeux d’un bleu-clair fort singuliers.

Au bout de quelques jours, ma mère se tourmenta de la pâleur de ses prunelles, et j’entendis souvent mon père et d’autres personnes prononcer avec anxiété le mot cristallin. Enfin, au bout d’une quinzaine, il n’y avait plus à en douter, l’enfant était aveugle. On ne voulut pas le dire à ma mère positivement. On la laissa dans une sorte de doute. On émettait timidement devant elle l’espérance que ce cristallin se reformerait dans l’œil de l’enfant. Elle se laissa consoler, et le pauvre infirme fut aimé et choyé avec autant de joie que