Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/566

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pu parler. Il m’a dit que tout ce que l’âme humaine peut souffrir sans se briser, il l’avait souffert durant ce trajet où la pauvre mère, pâmée sur le corps de son fils, ne faisait entendre qu’un râle semblable à celui de l’agonie.

Je ne sais pas ce qui se passa jusqu’au moment où ma mère apprit cette effroyable nouvelle. Il était six heures du matin, et j’étais déjà levée. Ma mère s’habillait : elle avait une jupe et une camisole blanches, et elle se peignait. Je la vois encore au moment où Deschartres entra chez elle sans frapper, la figure si pâle et si bouleversée, que ma mère comprit tout de suite. « Maurice !

s’écria-t-elle ; où est Maurice ? » Deschartres ne pleurait pas. Il avait les dents serrées, il ne pouvait prononcer que des paroles entrecoupées : « Il est tombé….. non, n’y allez pas, restez ici… Pensez à votre fille… Oui, c’est grave, très grave…. » Et enfin, faisant un effort qui pouvait ressembler à une cruauté brutale, mais qui était tout à fait indépendant de la réflexion, il lui dit avec un accent que je n’oublierai de ma vie : « Il est mort ! » Puis il eut comme une espèce de rire convulsif, s’assit, et fondit en larmes.

Je vois encore dans quel endroit de la chambre nous étions. C’est celle que j’habite encore et dans laquelle j’écris le récit de cette lamentable histoire. Ma mère tomba sur une chaise derrière le lit. Je vois sa figure livide, ses grands cheveux noirs épars sur sa poitrine, ses bras nus