Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/590

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Quand elle s’apercevait qu’elle avait été trop loin, elle me prenait dans ses bras, elle pleurait, elle m’accablait de caresses. Elle me disait même qu’elle avait eu tort, elle craignait de m’avoir fait du mal, et moi j’étais si heureuse de retrouver sa tendresse que je lui demandais pardon des coups qu’elle m’avait administrés.

Comment sommes-nous faits ? Si ma grand’mère eût déployé avec moi la centième partie de cette rudesse irréfléchie, je serais entrée en pleine révolte. Je la craignais pourtant beaucoup plus, et un mot d’elle me faisait pâlir ; mais je ne lui eusse pas pardonné la moindre injustice, et toutes celles de ma mère passaient inaperçues et augmentaient mon amour.

Un jour, entre autres, je jouais dans sa chambre avec Ursule et Hippolyte, tandis qu’elle dessinait. Elle était tellement absorbée par son travail, qu’elle ne nous entendait pas faire notre vacarme accoutumé. Nous avions trouvé un jeu qui passionnait nos imaginations.

Il s’agissait de passer la rivière. La rivière était dessinée sur le carreau avec de la craie, et faisait mille détours dans cette grande chambre. En de certains endroits elle était fort profonde ; il fallait trouver l’endroit guéable et ne pas se tromper. Hippolyte s’était déjà noyé plusieurs fois. Nous l’aidions à se retirer des grandes eaux où il tombait toujours, car il faisait le rôle du maladroit ou de l’homme ivre, et il nageait à sec sur le carreau