Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/619

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retourne à sa vallée, et recouvre sa vertu sans retrouver son bonheur, car il a bu à la coupe empoisonnée du siècle. Je ne voudrais pas relire ce livre, je craindrais de ne plus le trouver aussi charmant qu’il m’a semblé.

Autant qu’il m’en souvient, la conclusion de Mme de Genlis n’est pas hardie : elle ne veut pas donner tort à la société, et, à plusieurs égards, elle a raison d’accepter l’humanité telle qu’elle est devenue par les lois mêmes du progrès. Mais il me semble qu’en général, les argumens qu’elle place dans la bouche de l’espèce de mentor dont elle fait accompagner son héros à travers l’examen du monde moderne, sont assez faibles ; je les lisais sans plaisir et sans conviction, et l’on pense bien pourtant qu’à seize ans, sortant du cloître, et encore soumise à la loi catholique, je n’avais pas de parti pris contre la société officielle. Les naïfs raisonnemens du Battuécas me charmaient, au contraire, et, chose bizarre, c’est peut-être à Mme de Genlis, l’institutrice et l’amie de Louis-Philippe, que je dois mes premiers instincts socialistes et démocratiques.

Mais je me trompe : je les dois à la singularité de ma position, à ma naissance à cheval, pour ainsi dire sur deux classes, à mon amour pour ma mère, contrarié et brisé par des préjugés qui m’ont fait souffrir avant que je pusse les comprendre. Je les dois aussi à mon éducation, qui fut tour à tour philosophique et religieuse,