Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/639

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une sorte de vénération morale, jointe à un éloignement physique invincible. Elle s’aperçut bien de ma froideur, la pauvre femme, et voulut la vaincre par des reproches, qui ne servirent qu’à l’augmenter, en constatant à mes propres yeux un sentiment dont je ne me rendais pas compte. Elle en a bien souffert, et moi peut-être encore plus, sans pouvoir m’en défendre. Et puis une grande réaction s’est faite en moi quand mon esprit s’est développé, et elle a reconnu qu’elle s’était trompée en me jugeant ingrate et obstinée.

Nous partîmes pour Paris au commencement, de, je crois, l’hiver de 1810 à 1811 ; car Napoléon était entré en vainqueur à Vienne, et il avait épousé Marie-Louise, pendant mon premier séjour à Nohant. Je me rappelle les deux endroits du jardin où j’entendis ces deux nouvelles occuper ma famille. Je dis adieu à Ursule : la pauvre enfant était désolée, mais je devais la retrouver au retour, et d’ailleurs j’étais si heureuse d’aller voir ma mère, que j’étais presque insensible à tout le reste. J’avais fait la première expérience d’une séparation, et je commençais à avoir la notion du temps. J’avais compté les jours et les heures qui s’étaient écoulés pour moi loin de l’unique objet de mon amour. J’aimais Hippolyte aussi malgré ses taquineries ; lui aussi pleurait de rester seul, pour la première fois, dans cette grande maison. Je le plaignais ;