Page:Sand - Histoire de ma vie tomes 1a4 1855 Gerhard.djvu/68

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décorateur, cuisinier, poète, compositeur de musique, menuisier, et qu’il brodait à merveille. Je ne sais pas ce qu’il n’était pas. Le malheur, c’est qu’il mangea sa fortune à satisfaire tous ces instincts divers et à expérimenter toutes choses ; mais je n’y vis que du feu, et nous nous ruinâmes le plus aimablement du monde. Le soir, quand nous n’étions pas en fête, il dessinait à côté de moi, tandis que je faisais du parfilage, et nous nous faisions la lecture à tour de rôle : ou bien quelques amis charmans nous entouraient et tenaient en haleine son esprit fin et fécond par une agréable causerie. J’avais pour amies de jeunes femmes mariées d’une façon plus splendide, et qui pourtant ne se lassaient pas de me dire qu’elles m’enviaient mon vieux mari.

« C’est qu’on savait vivre et mourir dans ce temps-là, disait-elle encore : on n’avait pas d’infirmités importunes. Si on avait la goutte, on marchait quand même et sans faire la grimace : on se cachait de souffrir par bonne éducation. On n’avait pas ces préoccupations d’affaires qui gâtent l’intérieur et rendent l’esprit épais. On savait se ruiner sans qu’il y parût, comme de beaux joueurs qui perdent sans montrer d’inquiétude et de désir. On se serait fait porter demi-mort à une partie de chasse. On trouvait qu’il valait mieux mourir au bal ou à la comédie que dans son lit, entre quatre