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HISTOIRE

Gribouille, revenant à lui-même, fit un effort pour se reconnaître et ne se trouva plus figure humaine : il n’avait plus, en guise de pieds et de mains, que des feuilles vertes toutes mouillées ; son corps était en bois couvert de mousse, sa tête était un gros gland d’Espagne sucré, du moins Gribouille le pensait, car il sentait comme un goût de sucre dans la bouche qu’il n’avait plus. Il fut étonné de se voir dans cet état et de reconnaître que son voyage l’avait changé en une branche de chêne qui flottait sur l’eau. Les gros poissons qu’il rencontrait par milliers le flairaient en passant, puis détournaient la tête d’un air de dégoût. Les oiseaux de mer s’abattaient jusque sur lui pour l’avaler ; mais, dès qu’ils l’avaient regardé de près, ils s’en allaient plus loin, pensant que ce n’était point un plat de leur cuisine. Enfin il vint un grand aigle, qui le prit assez délicatement dans son bec et qui l’emporta à travers les airs.

Gribouille eut un peu peur de se voir si haut ; mais il sentit bientôt qu’en le séchant l’air lui donnait de la force et de la nourriture, car sa faim le quitta, et il se fût trouvé fort à l’aise si les projets de l’aigle à son égard ne lui eussent donné quelque inquiétude.

Cependant, comme il continuait à penser et à raisonner sous sa forme de branche, il se dit bientôt : Je suis près de