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DE GRIBOUILLE

plus libres de quitter la forme que l’on nous impose, tant que la reine ne révoque point son arrêt.

— Je suis bien sûr, dit Gribouille, que jamais vous n’avez été punie de la sorte.

— Il est vrai, répondit modestement la reine des prés ; mais, pour en revenir à ton histoire, tu sauras qu’à cette époque le roi des bourdons, qui avait gouverné ton pays environ quatre cents ans auparavant, et qui l’avait affreusement dévasté et maltraité, subissait depuis ce temps-là un châtiment infâme. Il était simple bourdon, une vraie bête brute, condamnée à ramper, à dérober, à bourdonner sur un vieux chêne de la forêt qu’il avait jadis planté de sa propre main, lorsqu’il était le maître et le tyran de la contrée.

— Comment, dit Gribouille, un génie peut-il exister sous cette forme vile, et vivre pendant des siècles de la vie des bêtes ?

— Cela arrive tous les jours, répondit la fée. Rien ne le distingue des autres bêtes, si ce n’est le sentiment de sa misère, de sa honte et de sa déplorable immortalité. Le roi des bourdons était ainsi transformé depuis trois cent quatre-vingt-huit ans lorsque tu vins au monde. Ces trois cent quatre-vingt-huit ans te paraissent bien longs ; mais, dans la vie des êtres immortels, c’est peu de chose, et la punition n’était pas bien dure.