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IMPRESSIONS ET SOUVENIRS.

artistes, tous les poëtes, tous les naturalistes, vous aurez encore tout à apprendre si vous n’avez pas vu la nature chez elle, si vous n’avez pas, en personne, interrogé le sphinx.

Quelle conquête à entreprendre pour l’homme, et je dis pour tout homme actuellement vivant ou à naître ! Entrer dans la nature, chercher l’oracle de la forêt sacrée et rapporter le mot, ne fût-ce qu’un mot qui doit répandre sur toute sa vie le charme profond de la possession de son être ! cela vaut bien la peine de conserver les temples d’où cette divinité bienfaisante n’a pas encore été chassée !

Car il est temps d’y songer, la nature s’en va. Sous la main du paysan les grands végétaux disparaissent, les landes perdent leurs parfums, et il faut aller loin des villes pour trouver le silence, pour respirer les émanations de la plante libre ou surprendre le secret du ruisseau qui jase et qui coule à son gré. Tout est abattis, nivellement, redressement, clôture, alignement, obstacle ; si, dans ces cultures tirées au cordeau qui ont la prétention de s’appeler la campagne, vous voyez de temps en temps un massif de beaux arbres, soyez certain qu’il est entouré de murs et que c’est là une propriété particulière où vous n’avez pas le droit de faire entrer votre enfant pour qu’il sache comment est fait un tilleul ou un chêne.