Page:Sand - Isidora, 1845.djvu/108

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muet et presque sauvage. Une violente réaction contre les idées de sa caste et contre les mensonges odieux qui gouvernent la société s’était opérée en elle. Elle s’était fait une vie de solitude, de lecture et de méditation, au milieu du monde. Lorsqu’elle y paraissait pâle et belle, ornée de fleurs et de diamants, elle avait l’air d’une victime allant au sacrifice ; mais c’était une victime silencieuse et recueillie, qui ne faisait plus entendre une plainte, qui ne laissait plus échapper un soupir.

La mort de son mari avait terminé un lent et odieux supplice ; mais à vingt ans, Alice était déjà si lasse de la vie, qu’elle l’abordait sans illusions, et qu’elle ne pouvait plus y faire un pas sans terreur. Les théories qu’on agitait autour d’elle soulevaient son âme de dégoût. Les hommes qu’elle voyait lui semblaient tous, et peut-être qu’ils étaient tous, en effet, des copies plus ou moins effacées du type révoltant de l’homme qui l’avait asservie. Enfin, elle ne pouvait plus aimer, pour avoir été forcée de haïr et de mépriser, dans l’âge où tout devait être confiance, abandon, respect.

Ce ne fut que dix ans plus tard qu’elle rencontra enfin un homme pur et vraiment noble, et il fallut pour cela que le hasard amenât dans sa maison et