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jean ziska.

sous d’autres formes deux siècles auparavant. La secte des Adamites n’était pas nouvelle non plus ; elle avait été apportée de France ; elle avait traversé plusieurs époques et plusieurs contrées. Elle était même éternelle, comme la virtualité de toutes les idées et aussi ancienne de manifestation que le christianisme. Elle ne devait pas finir absolument en Bohême ; on l’a revue sous d’autres formes chez les Anabaptistes de Munster ; on l’a revue plus récemment encore dans de malheureux essais pour l’émancipation des femmes. C’est une de ces sectes exubérantes, excessives et délirantes, dont j’ai promis, au commencement de ce récit, de parler un peu, et voici ce peu que j’ai à en dire.

Toujours l’homme a rêvé l’idéal, soit au ciel, soit sur la terre. Chacun a construit cet idéal selon la portée de son intelligence ou l’ardeur de ses désirs, selon la fièvre de ses instincts ou la sublimité de ses sentiments. Les Taborites, en rêvant sur la terre les jouissances célestes, la fraternité la plus tendre, l’amour le plus chaste (les sens ne devaient plus avoir de part à la reproduction de l’espèce), montraient combien de charité, d’austérité, de dévouement et de justice brûlait au fond de ces âmes farouches, emportées, dans leur projet sublime, par la fureur des temps et l’implacabilité du fanatisme. Les Adamites, au contraire, en voulant réaliser, au milieu des excès du présent, la liberté absolue de l’avenir, se montraient insensés. De plus, en rêvant cette liberté grossière et brutale, ils faisaient bien voir que leur fanatisme était du dernier ordre, et qu’en voulant arriver à l’innocence des anges, ils ne savaient arriver qu’à celle des bêtes. Cependant ils s’aimaient entre eux, ils s’appelaient frères, et pratiquaient une fraternité absolue ; ils souffrirent le supplice en riant et en chantant. Ils furent martyrs, eux aussi, de leur foi ; car leurs femmes ne pratiquaient pas,