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jean ziska.

pouvait être une particularité dans un pays où l’on avait dû prendre les habitudes allemandes, et ce qui n’était probablement qu’un retour ou un attachement marqué à l’antique costume slave. On vit longtemps à Tabor un portrait qui avait été fait d’après lui de son vivant, et qui pouvait être une belle chose, car le temps d’Albert Durer approchait. Ziska était représenté tenant d’une main sa massue, de l’autre la tête d’un moine tonsuré. Un ange, debout devant lui, lui présentait le calice. Des peintures analogues étaient répandues dans toute la Bohême. Sur les portes des villes, sur les murailles, sur les boucliers, partout on voyait des calices grossiers présentés à la foule avide par des anges[1]. Je m’imagine que ces figures, quelque barbarement peintes qu’elles fussent, devaient avoir un grand caractère, et qu’Albert Durer les vit et en fut frappé. Quelques-unes des gravures sur bois de ce maître semblent être des symboles hussitiques. On y voit le calice simple et austère dans la main de l’ange, et le calice chargé d’ornements, de perles et de pierreries dans celle de la grande prostituée, symbole de l’église romaine. Les cieux pleuvent du sang, les ministres ailés de la colère divine y courent sur les nuages. Dans le fond on aperçoit d’affreux supplices, des hommes nus entraînés au sommet d’une montagne et jetés en bas sur les piques et les fourches des soldats. Albert Durer avait embrassé le parti de la réforme. Quoique en véritable artiste de nos jours, et grâce à son talent, il fût bien avec tous les partis, peut-être dans le secret de son âme, toutes ses allégories apocalyptiques avaient-elles leur sens dans des événements plus récents. Peut-être ces victimes qu’on chasse et qu’on précipite du haut des montagnes

  1. C’est ce qui donna lieu à un distique latin dont voici le sens : « La Bohême peint tant de coupes, qu’il semble qu’elle n’ait plus d’autre dieu que Bacchus. »