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GABRIEL.

jour. Armez-vous de courage. Vous avez une grande résolution à prendre, une grande destinée à accepter aujourd’hui. Quand vous aurez appris ce que vous ignorez, vous ne direz pas que vous n’êtes pas aimé. Vous savez, du moins, que votre naissance fut attendue comme une faveur céleste, comme un miracle. Votre père était malade, et l’on avait presque perdu l’espoir de lui voir donner le jour à un héritier de son titre et de ses richesses. Déjà la branche cadette des Bramante triomphait dans l’espoir de succéder au glorieux titre que vous porterez un jour…

GABRIEL.

Oh ! je sais tout cela. En outre, j’ai deviné beaucoup de choses que vous ne me disiez pas. Sans doute, la jalousie divisait les deux frères Julien et Octave, mon père et mon oncle ; peut-être aussi mon grand-père nourrissait-il dans son âme une secrète préférence pour son fils aîné… Je vins au monde. Grande joie pour tous, excepté pour moi, qui ne fus pas gratifié par le ciel d’un caractère à la hauteur de ces graves circonstances.

LE PRÉCEPTEUR.

Que dites-vous ?

GABRIEL.

Je dis que cette transmission d’héritage de mâle en mâle est une loi fâcheuse, injuste peut-être. Ce continuel déplacement de possession entre les diverses branches d’une famille ne peut qu’allumer le feu de la jalousie, aigrir les ressentiments, susciter la haine entre les proches parents, forcer les pères à détester leurs filles, faire rougir les mères d’avoir donné le jour à des enfants de leur sexe !… Que sais-je ! L’ambition et la cupidité doivent pousser de fortes racines dans une famille ainsi assemblée comme une meute affamée autour de la curée du majorat, et l’histoire m’a appris qu’il en peut résulter