Page:Sand - Jean de la Roche (Calmann-Levy SD).djvu/40

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retenue, son calcul fut bon, car je me sentis plus esclave que jamais en connaissant mieux mes devoirs envers elle. Plus elle s’annihilait devant moi, plus je devais continuer à m’annihiler moi-même. Cette vie sans épanchement mûrit promptement mon caractère, mais je ne saurais dire qu’elle le forma. Je devins sombre, et je sentis fermenter en moi des passions nouvelles, des passions vagues, il est vrai, mais dont les rêves se succédaient sans enchaînement et sans but. Je n’avais plus soif de plaisirs frivoles ou grossiers. Mécontent de moi-même, j’eusse voulu être quelque chose, et je ne me sentais propre qu’à la médiocrité dont j’étais las. Sans fortune et sans talents particuliers, je ne pouvais prétendre à aucune carrière brillante, à aucune influence. Les cinq ou six personnes qui composaient mon empire, à commencer par ma mère, me disaient du matin au soir que j’étais le maître. Le maître de quoi ? De commander le dîner, de payer les moissonneurs, de choisir la robe de mon cheval et la race de mes chiens, d’aller à la chasse que je n’aimais pas, à la messe où je ne priais pas, chez des voisins qui ne m’amusaient pas, dans des villes où je n’avais que faire ?… Je devins si triste, que ma mère s’en aperçut et s’en étonna.