Page:Sand - Journal d’un voyageur pendant la guerre.djvu/128

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jour le jour. Le danger ne cause pas d’abattement, on serait honteux d’être en sûreté quand les autres sont dans le péril et le malheur. Mon pauvre Morère ! sa belle figure pâle me suit partout ; la nuit, je vois ses yeux clairs fixés sur moi. C’était un ami excellent, un habile médecin, un homme de résolution, d’activité, de courage ; agile, infatigable, il était plus jeune avec ses cheveux blancs que ne le sont les jeunes d’aujourd’hui. Je le vois et je l’entends encore à un dîner d’amis à Palaiseau, où nous admirions la netteté de son jugement, l’énergie de ses traits et de sa parole. Le soir, on se reconduisait par les ruelles désertes de ce joli village, et chacun rentrait dans sa petite maison, d’où l’on entendait les pas de l’ami qui vous quittait résonner sur le gravier du chemin. Dans le beau silence du soir, on résumait tranquillement les idées qu’on avait échangées avec animation. On pensait quelquefois aux Allemands ; on parlait de leurs travaux, on s’intéressait à leur mouvement intellectuel. Que l’on était loin de voir