Page:Sand - Lélia, édition Dupuy-Tenré, 1833, tome 2.djvu/20

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a perdu l’esprit de l’homme ; elle a désolé le monde réel, si froid, si pauvre, si déplorable au prix des doux rêves qu’elle enfante. Enivrée de ses folles promesses, bercée de ses douces moqueries, je n’ai jamais pu me résigner à la vie positive. La poésie m’avait créé d’autres facultés, immenses, magnifiques, et que rien sur la terre ne devait assouvir. La réalité a trouvé mon ame trop vaste pour y être contenue un instant. Chaque jour devait marquer la ruine de ma destinée devant mon orgueil, la ruine de mon orgueil désolé devant ses propres triomphes. Ce fut une lutte puissante et une victoire misérable ; car, à force de mépriser tout ce qui est, je conçus le mépris de moi-même, sotte et vaine créature, qui ne savais jouir de rien à force de vouloir jouir splendidement de toutes choses.

» Oui, ce fut un grand et rude combat, car en nous enivrant la poésie ne nous dit pas qu’elle nous trompe. Elle se fait belle, sim-