Page:Sand - Lélia, édition Dupuy-Tenré, 1833, tome 2.djvu/19

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lons dans ma chair. J’oubliai d’être jeune, et la nature oublia de m’éveiller. Mes rêves avaient été trop sublimes ; je ne pouvais plus redescendre aux appétits grossiers de la matière. Un divorce complet s’était opéré à mon insu entre le corps et l’esprit. J’avais vécu en sens inverse de la destinée naturelle. Au lieu de commencer par la jouissance et de finir par la réflexion, j’avais ouvert le livre de vie au chapitre de la science ; je m’étais enivrée de méditations et de spiritualisme, et j’avais prononcé l’anathême des vieillards sur tout ce que je n’avais pas encore éprouvé. Quand vint l’âge de vivre, il fut trop tard : j’avais vécu.

» Mais si la jeunesse des sens, si la vie du corps n’a qu’un jour, qu’il faut saisir et qui ne revient plus, la jeunesse de l’ame est longue et la vie de l’esprit est immortelle. Mon cœur survivait à mes sens, et je me dévouai en pâlissant et en fermant les yeux.

» Vous avez raison de dire que la poésie